02/09/2000 La Libre Belgique
Christophe Lamfalussy

Interview: Wolfgang Petritsch, the High Representative”Il n’y avait pas eu de mystčre ŕ Rambouillet”

Wolfgang Petritsch, aujourd’hui Haut représentant en Bosnie, fut également le négociateur européen aux pourparlers de Rambouillet, qui débutčrent il y a un an, le 6 février 1999, échoučrent en mars et débouchčrent finalement sur le bombardement de la Yougoslavie par l’Otan. Or M. Petritsch vient de publier en allemand un livre (*) qui vise, selon lui, “ŕ démystifier les légendes qui tournent autour de Rambouillet”. ” La Libre Belgique” a profité de son passage ŕ Bruxelles pour lui demander son sentiment face ŕ la controverse qui continue sur l’annexe militaire de Rambouillet.

Certains disent qu l’annexe militaire, et notamment l’article qui impliquait la libre circulation des troupes et équipements de l’Otan sur tout le territoire yougoslave, signifiait pour Belgrade l’impossible, qu’elle devait renoncer ŕ sa souveraineté. Que répondez-vous ?

Selon les documents qui ont été discutés ŕ Rambouillet, on peut clairement voir qu’il n’y avait pas de mystčre. L’annexe militaire était de celle qui avait été adoptée ŕ Dayton. Rien de neuf pour la Yougoslavie. Milosevic a signé en 1995 une annexe dans laquelle la République fédérale de Yougoslavie acceptait le libre transit par terre, train, route, voie navigable ou par l’espace aérien de tout le personnel et de l’équipement requis par l’Otan pour l’exécution de sa mission en Bosnie, et cela ” ŕ travers le territoire de la République fédérale yougoslave”. Milosevic a signé cela en 1995, or le męme article, presque mot pour mot, figurait dans l’annexe militaire pour le Kosovo. Une partie de la controverse vient de l’ignorance des accords précédents de Dayton. Mais ce n’était pas vraiment une surprise pour le gouvernement yougoslave. Mon livre vise ŕ démystifier certaines des légendes qui tournent autour de Rambouillet.

Cette controverse persiste…

Je le sais. J’ai aussi publié dans mon livre une lettre envoyée aux trois négociateurs par le chef de la délégation serbe, Ratko Markovic, au dernier jour de Rambouillet, aprčs qu’ils aient vu l’intégralité du texte de Rambouillet, y compris l’annexe militaire. Les Serbes disaient qu’ils “pouvaient vivre” avec le volet politique du texte, moyennant quelques changements. Ils ajoutaient qu’ils étaient pręts ŕ continuer cette négociation sur ” l’étendue et le caractčre d’une présence internationale” au Kosovo. Ils ne parlaient pas d’une présence civile, ce qu’ils auraient pu faire, parce qu’ils savaient bien que sans une composante militaire, il n’y avait pas de solution au Kosovo. Quelques jours plus tard, il y a eu un changement politique total ŕ Belgrade contre cette annexe. Tout s’est arręté.

C’était aprčs Rambouillet et avant Paris ?

Oui, fondamentalement, c’était une décision consciente de Milosevic contre un compromis, contre les résultats de Rambouillet et pour une confrontation avec la communauté internationale, męme militaire. Il bluffait, espérant que rien ne se passerait.

Mais l’opposition des Serbes ŕ l’annexe militaire était liée au fait que l’Otan allait prendre en charge la force internationale, pas l’Onu par example.

Il ya eu le męme “pattern” de résistance ŕ propos du Kosovo qu’avec la Bosnie. Les Russes également n’étaient pas heureux (de la présence de l’Otan) dans un premier temps et finalement, ils ont signé.

Pensez-vous que la façon dont les Russes ont été traités ŕ Rambouillet était diplomatique ?

L’un dans l’autre, oui. Boris Maiorski (le négociateur russe) était inclus dans tout, de A ŕ Z. Les Russes pensaient ŕ Rambouillet que l’annexe militaire ne pouvait ętre négociée que quand les Yougoslaves acceptaient le volet politique. Maiorski connaissait l’annexe militaire, mais il ne pouvait pas s’engager. Il savait parfaitement bien que sans une annexe militaire il ne pouvait y avoir d’accords de Rambouillet: c’était nécessaire pour démilitariser l’Armée de Libération du Kosovo (UCK).

Quand a été présentée l’annexe militaire aux Serbes ?

Vers le 19 février, trois ou quatre jours avant la fin de Rambouillet. Ils n’ont pas accepté de recevoir le document officiellement. Ils maintenaient qu’ils ne l’avaient pas reçu publiquement. Mais ils l’avaient reçue, l’avaient lue et avaient fait des commentaires.

Combien de l’accord politique avaient-ils déjŕ accepté ?

Presque 95 pc. Ils ne voulaient pas que le président du Kosovo soit appelé “président”, mais “chairman”. Ils ne voulaient pas que la constitution soit appelé une “constitution”. Mais ce n’est rien, ce sont des mots ! En plus, ceci se trouvait déjŕ dans les principes de base qui devaient ętre acceptés par les deux délégations avant le début de la conférence. Leur position était une tactique de négociation: ils avaient besoin de quoi marchander. Nous leur avons dit que leurs points ne posaient pas de problčmes. L’important était d’accepter l’annexe militaire. Nous pouvions convaincre les Albanais, de parler de “chairman” plutôt que de “président” ou de “Loi fondamentale”, comme en Allemagne, plutôt que de “constitution”.

Rambouillet leur proposait une protection des minorités qui était l’une des plus fortes en Europe. Les serbes représentaient ŕ l’époque 10 pc de la population contre 90 pc d’Albanais. Ils auraient reçu, grâce ŕ Rambouillet, ŕ peu prčs 40 pc du pouvoir politique contre 60 pc aux Albanais.

Alors, cela se joua ŕ Belgrade ?

Cinq jours aprčs Rambouillet, je négociais avec l’UCK car les branches locales ne semblaient pas disposées ŕ céder. Et j’ai reçu l’information que soudainement, une propagande anti-Otan était menée par Milosevic ŕ Belgrade.

Pourquoi Milosevic a refusé ?

C’est de l’interprétation, mais je pense qu’il a réalisé que Rambouillet allait apporter la démocratisation au Kosovo et, par extension, en Serbie. Un example: ŕ cause de cette décision plutôt inintelligente des Albanais de ne pas participer aux élections serbes, le Kosovo était le réservoir pour tricher aux élections. Aux derničres élections présidentielles, le président serbe Milan Milutinovic reçut 99 pc des voix dans un village albanais ŕ 100 pc. Ce jeu aurait été terminé.

* Kosovo,Kosova. Mythen,Daten,Fakten”, éditions Wieser, en allemand.