10/10/1997 Le Soir
EDOUARD VAN VELTHEM

Interview: Carlos Westendorp, High Representative in BiH

Q: Vous avez récemment parlé de “phase critique” pour l’application des accords de paix en Bosnie. La nouvelle détermination de l’Otan, notamment la prise de contrôle de la radio-télévision serbe bosniaque, vous paraît-elle suffisante pour relancer le processus ?

Sans la présence de la SFOR, il serait impossible d’exécuter le plan de paix, c’est clair. La SFOR a créé une stabilité et une sécurité dans le pays, elle a aussi aidé les agences internationales ŕ travailler. La police de l’ONU est désarmée, la présence des troupes de l’Otan n’en est que plus indispensable ŕ l’accomplissement de notre mission. L’essentiel aujourd’hui est de jeter les bases d’une démocratie solide. Les causes de la guerre subsistent: ce sont les męmes personnes et les męmes idées qui sont en place. Il faut créer les conditions pour parvenir au changement, ŕ savoir une police démocratique et des médias ouverts, pluralistes. La SFOR nous a aidé sur les deux points, nous pouvons continuer ŕ avancer. Mais il y aura d’autres difficultés.

Q: A commencer par les résultats des élections municipales du mois dernier, qui se font attendre, mais qui devraient confirmer la suprématie des partis nationalistes dans chaque communauté?

Il y a eu aussi des avancées pluralistes remarquables. Dans certaines villes, les réfugiés, qui n’ont pas encore regagné leurs foyers, ont fait la différence, les Serbes ŕ Drvar par exemple. La difficulté sera de faire respecter ces tendances encourageantes, mais nous avons mis ŕ cette fin un systčme au point avec l’OSCE – Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe: la création de commissions mixtes, au niveau local, pour traiter de ce problčme spécifique. Avec possibilité d’interventions, policičre ou judiciaire, contre ceux qui s’obstineraient ŕ refuser le verdict des urnes.

Q: C’est pour pouvoir agir plus efficacement ŕ tous ces niveaux que vous envisagez de demander un renforcement de votre mandat ?

Si c’est nécessaire, oui, absolument. If faut encore donner un peu de temps ŕ l’exécution des résultats électoraux, au retour des réfugiés et au fonctionnement des institutions centrales communes, mais, si ŕ la fin de l’année, je constate que les choses n’ont pas suffisamment bougé, j’envisagerai de demander un élargissement de mon mandat de Haut Représentant.

Q: La perspective d’élections anticipées en République serbe de Bosnie avant la fin de l’année n’a pas l’air de vous enchanter?

Je suis, par principe, trčs favorable aux élections pour aider ŕ résoudre les conflits. Le problčme, c’est qu’il faut suivre les régles constitutionnelles: il faut d’abord organiser les élections législatives, sous contrôle de l’OSCE, sans doute le 23 novembre prochain. Puis, aprčs un dépouillement dont on voit bien qu’il prend du temps, il conviendra de mettre en place la nouvelle Assemblée élue. Dans ces conditions, nous ne pensons pas que la tenue d’un scrutin présidentiel au débout décembre soit un délai suffisant pour franchir les differentes étapes.

Q: N’y a-t-il pas surtout la crainte d’une défaite de la présidente Biljana Plavsic, soutenue par la communauté internationale, face au clan ultranationaliste de Pale ?

On ne peut pas organiser des élections avec la certitude de les gagner, il faut ętre pręt ŕ accepter tout scénario issu du suffrage universel. Mais l’important , c’est de tenir ces scrutins dans de bonnes conditions: constitutionnelles, climatologiques – et vous savez que les hivers réduisent fortement les possibilités de déplacement en Bosnie -, mais aussi médiatiques. Il est préférable de donner du temps ŕ la population pour s’informer, pour choisir entre les différentes options proposées. Or, nous commençons seulement ŕ “ouvrir” la presse, ŕ lui permettre de respecter le pluralisme et la liberté d’opinion. C’est une tâche pour laquelle je viens ŕ peine de recevoir les instruments nécessaires. Si l’Otan avait accédé plus tôt ŕ ma requęte, nous aurions gagné trois mois. Et nous aurions pu lancer la campagne électorale avec davantage de garanties.

Q: La question des réfugiés reste aussi un casse-tęte insoluble. Comment forcer ŕ la cohabitation des gens qui n’en veulent plus ?

Ce sera dur, c’est vrai. Ce n’est pas que le début. La réconciliation ne s’imposera pas et elle ne se fera pas du jour au lendemain. Pour qu’un réfugié retourne chez lui, il faut beaucoup de facteurs. Il faut d’abord avoir une économie qui fonctionne, ce qui n’est pas encore le cas. Qui acceptera de revenir en sachant qu’il sera sans emploi ? Il faut aussi créer un climat de sécurité, pour les biens et pour les personnes. Tout cela va prendre du temps, mais il faut le faire. Sans hâte, mais de façon continuelle, avec obstination.

Q: Précisément, comment envisagerez-vous l'”aprčs-SFOR”, lorsque les accords de Dayton arriveront ŕ échéance ŕ la mi-1998 ?

Je ne conçois pas une sortie prématurée des troupes internationales, l’engagement de sécurité doit sans doute aller au-delŕ de juin 1998. J’imagine qu’il pourrait y avoir une recomposition, une restructuration de cette force, pour qu’elle soit aussi opérationnelle que l’actuelle. Mais il me semble inimaginable d’envisager une disparation pure et simple de la présence militaire ou son événtuel redéploiement hors de Bosnie, en Italie ou en Hongrie.

De façon générale, je suis contre la fixation de dates précises: elles sont peut-ętre utiles, parfois, pour forcer une situation, mais elles sont surtout trčs frustrantes lorsque vous ne parvenez pas ŕ les tenir. L’Otan devrait prendre des décisions au fur et ŕ mesure qu’avance le processus d’exécution civile des accords de Dayton. La Bosnie est aujourd’hui un malade placé sous perfusion. Elle guérira, c’est certain, mais il est impossible de dire quand?

Q: D’autant que l’abcčs des criminels de guerre et de leur transfert ŕ La Haye doit toujours ętre percé.

J’ai toujours dit que les criminels de guerre devaient aller ŕ La Haye, et, de préférence, volontairement. C’est ce qui vient d’arriver avec dix inculpés croates, qui one accepté de se présenter devant le Tribunal pénal international, et c’est encourageant. Bien sűr, cela ne s’est pas fait par miracle: il a fallu parler avec eux, avec leurs avocats, avec les juges de La Haye, avec les autorités croates. Mais le résultat est positif: ajouté que ŕ l’attitude de Président Tudjman pour les élections municipales et pour l’éviction des éléments les plus radicaux ŕ Mostar, cela nous amčne ŕ penser que Zagreb est enfin pręte ŕ coopérer.

Q: Ce qui n’est pas encore le cas du président Milosevic ?

Milosevic, parfois il coopére, mais son problčme, c’est qu’il reste trop proche des idées défendues par les ultras ŕ Pale. De męme que les Russes, d’ailleurs. Nous voulons servir le peuple serbe, nous ne voulons pas qu’il se croie exclu, “damné de la terre”, victime d’un complot. C’est un peuple courageux, sympathique, qui mérite le meilleur. Et qui ne mérite pas, précisément, les dirigeants qu’il a?

Q: Vous croyez ŕ l’hypothčse d’une opération “commando” pour capturer Radovan Karadzic ?

Il y a toujours des rumeurs: lorsqu’on mčne une action militaire ŕ Prijedor, ŕ Banja Luka ou sur les émetteurs de radio-télévision, certains disent aussitôt qu’on prépare en męme temps une mission d’envergure pour arręter Radovan Karadzic. Je ne l’exclus pas, mais pas nécessairement en connexion avec d’autres opérations. Ce qui est sűr, c’est que le temps passe et que le moment oů il comparaîtra ŕ La Haye approche. C’est une question d’hygične politique, morale et juridique. Si l’on veut bâtir un Etat de droit, il faut en évincer les criminels contre l’humanité. C’est une exigence qui ne peut souffrir ni compromis, ni négociation “honteuse”.

Q: Quel promier bilan tirez-vous jusqu’ici de votre mission: plutôt frustrant ou surtout motivant ?

Nous sommes dans une situation de douche écossaise. Un jour, tout va bien, les choses avancent, puis sudain, c’est le blocage. On passe de l’euphorie au désespoir. Mais c’est une expérience unique et je suis décidé ŕ la mener ŕ terme?