09.02.2000 La Libre Belgique
Christophe Lamfalussy

Interview: Wolfgang Petritsch, the High Representative”Revoir Dayton ? Aux Bosniaques de décider …”

Quatre ans aprčs Dayton, oů on est Sarajevo ? Le Haut représentant de la communauté internationale en Bosnie estime que “Dayton fut un grand succčs pour arręter la guerre. En temps de paix, ce n’est pas l’instrument idéal”

Wolfgang Petritsch est depuis aoűt dernier le Haut représentant de la communauté internationale en Bosnie, successeur de Carl Bildt et de Carlos Westendorp. Ce social-démocrate, qui fut porte-parole du chancelier Bruno Kreisky, est originaire de Carinthie, oů il est né, ŕ Klagenfurt, le 26 aoűt 1947. Sur le gouverneur de Carinthie Jörg Haider, M. Petritsch ne souhaite pas s’étendre, quoiqu’il se range parmi ses détracteurs et qu’il mette en question la réaction excessive ŕ ses yeux des partenaires européens de l’Autriche. Par contre, sur la Bosnie, il dit ceci.

La Bosnie, c’est un protectorat ?

Nous sommes lŕ pour aider, mais pas pour s’emparer de leurs choix. Nous devons aller contre le sentiment que la dépendance n’est finalement pas une mauvaise chose, ce qui est exactement le contraire de l’objectif que nous voulons atteindre aprčs quatre ans de présence en Bosnie.

Les gens font-ils référence au rôle historique de l’Autriche en Bosnie ?

Oui, mais je leur dis toujours que le gouveneur d’alors était le représentant d’un empire impérialistique. Nous sommes lŕ dans un autre but: arrimer la Bosnie-Herzégovine ŕ l’Europe, et pas conquérir un pays.

Le fait que 30.000 soldats de l’Otan et de la Sfor soient présents en Bosnie donne peut-ętre l’impresion que vous ętes lŕ pour longtemps.

Les Bosniaques ont ainsi l’assurance que la communauté internationale sait ce qu’elle veut quand elle parle de sécurité. Un environnement sűr, pour l’Etat et pour les gens, est important, particuličrement dans le cadre électoral, car les gens tendent ŕ voter pour les partis nationalistes quand ils se sentent en insécurité.

Quand vous ętes arrivé ŕ Sarajevo, prenait fin la guerre du Kosovo. A-t-elle influencé la Bosnie ?

Le Kosovo a rappelé ŕ tout le monde que la crise générale n’est pas encore terminée. L’aspect positif est que le pacte de stabilité a enfin pris une dimension régionale. Les Bosniaques ont commencé ŕ voir qu’ils n’étaient pas les seuls ŕ avoir des problčmes.

Quel est l’impact du changement de pouvoir ŕ Zagreb ?

A mon retour ŕ Sarajevo, je vais rencontrer le ministre croate des Affaires étrangčres dont la premičre visite sera Sarajevo. C’est un geste trčs symbolique. Je vais essayer de convaincre les Croates de Bosnie que ceci est une chance historique pour eux. Ils représentent l’une des trois entités du pays, la plus petite, et doivent réaliser que leur avenir ne pourra ętre réalisé que dans les frontičres d’une Bosnie souveraine.

Vous avez hérité de vos prédécesseurs des pouvoirs considérables, augmentés depuis les accords de Dayton. Est-on allé trop loin ?

Ma stratégie est d’utiliser ces pouvoirs, quand il faut, d’une maničre concertée. J’avais introduit une nouvelle législation sur la propriété en octobre (Ndlr: pour débloquer le retour des réfugiés). J’ai dű licencier vingt-deux responsables politiques pour obstruction. Maintenant, presque tous les gens qui ont été démis de leur fonction ont été remplacés. Chaque nom a été examiné par mes services. Mais c’est une procédure que nous devons utiliser avec grande prudence.

Vous avez laissé entendre que vous ętes ouvert ŕ un changement de Dayton, ŕ la condition qu’elle soit décidée par les Bosniaques eux-męmes. Pourquoi ?

Dayton était un grand succčs pour arręter la guerre. Mais, en temps de paix, ce n’est pas l’instrument idéal. Or, en démocratie, tout peut ętre changé par les gens. Les Bosniaques devraient remplir d’abord tous leurs engagements liés ŕ Dayton, puis en prendre possession. Mais dans la situation actuelle, ce ne serait pas bon de changer Dayton car cela ferait dévier l’attention des politiques du processus de paix.

Pour en venir ŕ la République serbe, pourquoi avez-vous tant soutenu le premier ministre Milorad Dodik ?

Je ne soutiens pas tellement la personne de M. Dodik mais ses tendances politiques. M. Dodik et son gouvernement Sloga ont été les plus coopératifs pour l’application des accords de Dayton. Il est devenu un partenaire naturel mais il doit s’en tenir aux rčgles.

N’y-a-t-il pas un risque que l’homme politique serbe qui est soutenu par la communauté internatoinale soit perçu comme travaillant pour elle ?

Oui, c’est la raison pour laquelle je juge M. Dodik par ses actes, et non pas parce qu’il est sympathique aux idées de l’Ouest. Il doit faire le travail pour ses gens, pas pour nous plaire.

Comment estimez-vous l’influence du parti nationaliste serbe SDS et de son ancien chef, Radovan Karadzic?

Karadzic est accusé de crimes de guerre. Il est hors circuit et devrait ętre amené devant la justice. Le SDS, en tant que tel, est représenté dans le gouvernement. C’est un parti qui ne croit pas dans l’avenir de la Bosnie. Son programme est encore pétri de nationalisme.

L’emploi est important pour redresser la Bosnie, avec un taux de chômage de 30 ŕ 40 pc. Oů en ętes-vous avec les investissements étrangers ?

Jusqu’ici, l’ économie a été financée par l’assistance internationale. C’est pourquoi j’ai fait da le réforme économique ma priorité pour l’an 2000. Beaucoup de nos problčmes politiques ne pourront ętre résolus qu’avec une économie viable et autonome. Ceci implique des privatisations, un combat contre la corruption et attirer des investissements étrangers, comme tout récemment, le groupe Daimler-Benz. C’est une tâche trčs difficile car en Bosnie, nous sommes confrontés ŕ deux problčmes: d’abord, la transformation de l’économie planifiée communiste en une économie de libre-marché, ce qui a été stoppé par la guerre entre 1992 et 1995, et ensuite, la reconstruction de la Bosnie de l’aprčs-guerre.