Christophe Lamfalussy
Quatre ans après Dayton, où on est Sarajevo ? Le Haut représentant
de la communauté internationale en Bosnie estime que "Dayton fut
un grand succès pour arrêter la guerre. En temps de paix, ce n'est
pas l'instrument idéal"
Wolfgang Petritsch est depuis août dernier le Haut représentant
de la communauté internationale en Bosnie, successeur de Carl
Bildt et de Carlos Westendorp. Ce social-démocrate, qui fut porte-parole
du chancelier Bruno Kreisky, est originaire de Carinthie, où il
est né, à Klagenfurt, le 26 août 1947. Sur le gouverneur de Carinthie
Jörg Haider, M. Petritsch ne souhaite pas s'étendre, quoiqu'il
se range parmi ses détracteurs et qu'il mette en question la réaction
excessive à ses yeux des partenaires européens de l'Autriche.
Par contre, sur la Bosnie, il dit ceci.
La Bosnie, c'est un protectorat ?
Nous sommes là pour aider, mais pas pour s'emparer de leurs
choix. Nous devons aller contre le sentiment que la dépendance
n'est finalement pas une mauvaise chose, ce qui est exactement
le contraire de l'objectif que nous voulons atteindre après quatre
ans de présence en Bosnie.
Les gens font-ils référence au rôle historique de l'Autriche
en Bosnie ?
Oui, mais je leur dis toujours que le gouveneur d'alors était
le représentant d'un empire impérialistique. Nous sommes là dans
un autre but: arrimer la Bosnie-Herzégovine à l'Europe, et pas
conquérir un pays.
Le fait que 30.000 soldats de l'Otan et de la Sfor soient
présents en Bosnie donne peut-être l'impresion que vous êtes là
pour longtemps.
Les Bosniaques ont ainsi l'assurance que la communauté internationale
sait ce qu'elle veut quand elle parle de sécurité. Un environnement
sûr, pour l'Etat et pour les gens, est important, particulièrement
dans le cadre électoral, car les gens tendent à voter pour les
partis nationalistes quand ils se sentent en insécurité.
Quand vous êtes arrivé à Sarajevo, prenait fin la guerre du
Kosovo. A-t-elle influencé la Bosnie ?
Le Kosovo a rappelé à tout le monde que la crise générale n'est
pas encore terminée. L'aspect positif est que le pacte de stabilité
a enfin pris une dimension régionale. Les Bosniaques ont commencé
à voir qu'ils n'étaient pas les seuls à avoir des problèmes.
Quel est l'impact du changement de pouvoir à Zagreb ?
A mon retour à Sarajevo, je vais rencontrer le ministre croate
des Affaires étrangères dont la première visite sera Sarajevo.
C'est un geste très symbolique. Je vais essayer de convaincre
les Croates de Bosnie que ceci est une chance historique pour
eux. Ils représentent l'une des trois entités du pays, la plus
petite, et doivent réaliser que leur avenir ne pourra être réalisé
que dans les frontières d'une Bosnie souveraine.
Vous avez hérité de vos prédécesseurs des pouvoirs considérables,
augmentés depuis les accords de Dayton. Est-on allé trop loin
?
Ma stratégie est d'utiliser ces pouvoirs, quand il faut, d'une
manière concertée. J'avais introduit une nouvelle législation
sur la propriété en octobre (Ndlr: pour débloquer le retour des
réfugiés). J'ai dû licencier vingt-deux responsables politiques
pour obstruction. Maintenant, presque tous les gens qui ont été
démis de leur fonction ont été remplacés. Chaque nom a été examiné
par mes services. Mais c'est une procédure que nous devons utiliser
avec grande prudence.
Vous avez laissé entendre que vous êtes ouvert à un changement
de Dayton, à la condition qu'elle soit décidée par les Bosniaques
eux-mêmes. Pourquoi ?
Dayton était un grand succès pour arrêter la guerre. Mais, en
temps de paix, ce n'est pas l'instrument idéal. Or, en démocratie,
tout peut être changé par les gens. Les Bosniaques devraient remplir
d'abord tous leurs engagements liés à Dayton, puis en prendre
possession. Mais dans la situation actuelle, ce ne serait pas
bon de changer Dayton car cela ferait dévier l'attention des politiques
du processus de paix.
Pour en venir à la République serbe, pourquoi avez-vous tant
soutenu le premier ministre Milorad Dodik ?
Je ne soutiens pas tellement la personne de M. Dodik mais ses
tendances politiques. M. Dodik et son gouvernement Sloga ont été
les plus coopératifs pour l'application des accords de Dayton.
Il est devenu un partenaire naturel mais il doit s'en tenir aux
règles.
N'y-a-t-il pas un risque que l'homme politique serbe qui est
soutenu par la communauté internatoinale soit perçu comme travaillant
pour elle ?
Oui, c'est la raison pour laquelle je juge M. Dodik par ses actes,
et non pas parce qu'il est sympathique aux idées de l'Ouest. Il
doit faire le travail pour ses gens, pas pour nous plaire.
Comment estimez-vous l'influence du parti nationaliste serbe
SDS et de son ancien chef, Radovan Karadzic?
Karadzic est accusé de crimes de guerre. Il est hors circuit
et devrait être amené devant la justice. Le SDS, en tant que tel,
est représenté dans le gouvernement. C'est un parti qui ne croit
pas dans l'avenir de la Bosnie. Son programme est encore pétri
de nationalisme.
L'emploi est important pour redresser la Bosnie, avec un taux
de chômage de 30 à 40 pc. Où en êtes-vous avec les investissements
étrangers ?
Jusqu'ici, l' économie a été financée par l'assistance internationale.
C'est pourquoi j'ai fait da le réforme économique ma priorité
pour l'an 2000. Beaucoup de nos problèmes politiques ne pourront
être résolus qu'avec une économie viable et autonome. Ceci implique
des privatisations, un combat contre la corruption et attirer
des investissements étrangers, comme tout récemment, le groupe
Daimler-Benz. C'est une tâche très difficile car en Bosnie, nous
sommes confrontés à deux problèmes: d'abord, la transformation
de l'économie planifiée communiste en une économie de libre-marché,
ce qui a été stoppé par la guerre entre 1992 et 1995, et ensuite,
la reconstruction de la Bosnie de l'après-guerre.
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