28.03.1998 La Libre Belgique
Christophe Lamfalussy

Interview: Carlos Westendorp, High Representative in BiH

De passage ŕ Bruxelles, oů il venait de Bonn pour une réunion du Groupe de contact, le Haut représentant civil en Bosnie, l’Espagnol Carlos Westendorp, a donné une brčve interview ŕ “La Libre Belgique” jeudi soir.

Carlos Westendorp, est-ce que la communauté internationale doit intervenir de maničre active au Kosovo ?

Carlos Westendorp: Il faut intervenir pour empęcher qu’il y ait un conflit similaire ŕ celui de la Bosnie. On a eu une leçon trčs claire en Bosnie: si les pays européens étaient restés unis, et si la communauté internationale avait montré une plus grande détermination, nous aurions pu empęcher le conflit. On ne peut pas se payer le luxe qu’un conflit éclate au Kosovo. C’est un problčme certes intérieur de la Yougoslavie, mais qui a aussi des conséquences internationales trčs sérieuses. Donc la communauté internationale doit avoir un rôle actif.

Militaire ?

Carlos Westendorp: Pour l’instant, les pressions diplomatiques suffisent. Et contrairement ŕ ce qu’on en dit, l’union se maintient jusqu’ŕ présent au sein du Groupe du contact: la détermination est grande.

En quoi une mission de Felipe Gonzalez peut-ętre utile ?

Carlos Westendorp: C’est dommage que cette mission n’ait pas été acceptée d’emblée par Milosevic. Elle est le corollaire da la mission que Felipe a faite il y a deux ans, en mettant le doigt sur les carences du régime yougoslave en matičre de lois électorales, de médias, du systčme judiciaire. Le problčme du Kosovo existait déjŕ, mais pas avec l’acuité actuelle. A ce moment-lŕ, Felipe aurait pu, en échange de la démocratisation, ouvrir la Yougoslavie ŕ la vie politique et économique internationale. La Yougoslavie maintenant est un des pays les plus arriérés de l’Europe, dans une zone cruciale de la stabilité européene. Il est encore temps de faire cette mission, mais c’est urgent.

Vous ętes Haut représentant en Bosnie depuis neuf mois. Il s’est passé des choses: le déblocage du côté serbe, mais aussi le renforcement de vos pouvoirs. Faut-il vous appeler maintenant le Gouverneur da la Bosnie ?

Carlos Westendorp: (Sourires) Non, je ne veux pas l’ętre. Je veux ętre l’ami de la Bosnie, celui qui l’aide ŕ surmonter tous les problčmes de la guerre. Parfois, je suis obligé de prendre des décisions qui devraient ętre prises par les autorités locales. Dans la mésentente, ce sont eux-męmes qui préfčrent que je prenne les décisions. Cela fait avancer le processus, mais il faut qu’ils acceptent Dayton, ŕ commencer par le retour des réfugiés. Seulement 80.000 réfugiés sont revenus dans les zones oů ils sont minoritaires, et 300.000, dans des zones oů ils sont majoritaires. Lorsqu’il y aura davantage de retours minoritaires, alors on pourra parler réellement de réconciliation.

Comment va s’exercer la transition entre le pouvoir – fort – que vous exercez et la complčte prise en charge par les dirigeants bosniaques de leur pays ?

Carlos Westendorp: Le nouveau gouvernment, en République serbe, prend des décisions législatives qui vont dans la bonne direction. Il y a plus de difficultés dans la Fédération croato-musulmane. Nous verrons aux élections générales de septembre si la situation va se normaliser. Une fois que l’Etat bosniaque sera constitué, et il l’est presque, il y aura moins de lois ŕ faire passer. Je dirai alors: nous restons pour aider, mais je ne serai plus obligé de prendre des décisions législatives.

Il est question que la Belgique envoie un bataillon ŕ Livno. Que se passe-t-il dans cette région ?

Carlos Westendorp: Il y a lŕ un terrain de manoeuvres pour l’armée de la Fédération, sur lequel un exercice multilatéral aura lieu bientôt, ŕ feu réel. La région est trčs croate, pas facile. Mais cela ne veut rien dire: les troupes espagnoles sont ŕ Mostar, leurs relations sont bonnes avec la population, pourvu que les troupes fassent respecter la sécurité mais aussi aident ŕ construire des ponts ou des maisons.

La Belgique et les Pays-Bas s’inquičtent du développement du Groupe de contact, qu’ils percoivent comme l’émanation de grands pays européens agissant sans concertation suffisante. Qu’en pensez-vous ?

Carlos Westendorp: Les six pays du Groupe de contact prennent des positions communes. Normalement, les pays européens qui sont membres du Groupe de contact doivent agir en conformité avec les positions communes de l’Union européenne (UE).

Mais le problčme, pour celle-ci, c’est qu’il n’existe pas de politique extérieure et de sécurité commune. Et tant qu’il n’y en aura pas, on ne pourra pas empęcher ce genre de groupes d’exister. Parfois, les petits pays eux-męmes craignent de se voir imposer cette politique commune. Il faut surmonter cette crainte, car sinon, l’Europe n’aura jamais d’influence. Je le vois constamment en Bosnie. L’Europe donne plus d’argent, plus d’hommes, mais elle est moins visible que les Etats-Unis.